La période de confinement a été l’occasion de me plonger avec délices dans des romans. Je suis en train de découvrir la science-fiction et ça me parle plutôt pas mal ! Laissez-moi vous présenter les deux ouvrages qui m’ont accompagné ces dernières semaines…
Le premier m’a plongé au cœur d’une société de la surveillance, de la technologie manipulatrice. Une société qui organise le dépérissement de nos élans de vie, de nos pulsions, de nos désirs, de nos libertés. Damasio réfléchit à l’intériorisation des normes, du contrôle de soi par soi. À l’acceptation du jugement, du classement de chaque personne par rapport aux autres. Les enfants, dans son livre, sont une bouffée d’oxygène.
Devenir libre est une maladie […]. C’était cela qui me rassurait quand je voyais les enfants courir dans les villages. Ils étaient déjà atteints, ils étaient tous malades, gangrenés de liberté…
La Zone du Dehors, Alain Damasio
J’ai apprécié de voir se dessiner sous forme d’images, de tableaux les conséquences sociales des structures d’évaluation. Dans ce livre, ce qui est trop souvent le quotidien des enfants scolarisés (les notes, la compétition scolaire, l’évaluation du comportement) s’étend à tout le monde du travail et même à la sphère familiale. Le résultat est effrayant…
Le second livre est beaucoup plus enthousiasmant 🙂 C’est une anticipation de comment on pourrait organiser la société autrement, en repensant les règles du jeu économiques et sociales. C’est très réaliste, ça donne envie.
J’ai adoré partir en exploration de cette société misarchiste. Je crois que c’est la première fois que j’arrive à imaginer le fonctionnement global d’une autre société. C’est très satisfaisant de cohérence entre les valeurs et principes énoncés et l’organisation des différents services collectifs : travail, impôt, habitat, propriété, santé, justice, tout y passe. L’éducation aussi, forcément. Je ne résiste pas à vous partager cet extrait (délicieux) qui parle de leur système éducatif 🙂
– C’est quoi ton niveau scolaire, mon petit ?
– Je suis quarante-trois et j’ai le niveau un des fondamentaux.
C’est à mon tour d’ouvrir de grands yeux. Il m’explique :
– Je suis déjà niveau dix en cuisine, neuf en hôtellerie et douze en mathématiques ! Pas mal, n’est-ce pas ?
– Je… Je ne sais pas ce que ça veut dire. Chez moi, on ne compte pas comme ça.
– En moyenne, on atteint dix dans une matière à dix-huit ans. Enfin, c’est ce qu’on dit. Évidemment, c’est une moyenne.
[…]
Je lui explique le système des pays occidentaux, avec des études organisées par année, et non par niveau et par matière. Il trouve que c’est débile, si quelqu’un aime les maths ou la cuisine, il doit pouvoir progresser à fond dans ces matières. Et il ne voit pas pourquoi on l’empêcherait de passer au niveau supérieur, sous prétexte qu’il n’aime pas d’autres matières, ou qu’il s’en fout, ou qu’il y est nul. Et, en plus, en creusant tout de suite un truc, on peut trouver un meilleur travail et gagner plus. Ainsi, lui, avec son niveau d’hôtellerie, il ne s’en sort pas mal. Ce qui n’empêche pas de continuer sur le reste. De toute manière, il m’explique que les études sont obligatoires jusqu’à vingt-cinq ans. Et, plus tard, lui, il voudrait devenir un grand pâtissier. Il me dit que, les niveaux, ça se gagne lors de grands examens organisés dans tout le pays et qu’on peut très bien en passer plusieurs par an. Et que, d’ailleurs, son professeur de mathématiques est niveau trente dans sa matière, que c’est le maximum et qu’il n’a que dix-sept ans.
[…]
– Et puis je suis aussi six en cosdep ! Ajoute Joshuah, en m’extirpant de mes pensées.
– Cosdep ?
– Oui, c’est nul comme titre, mais rigolo comme cours ; en plus onest souvent seul face au prof : il n’y a pas de notes et plein d’exercices pratiques. J’aime bien.
– Qu’est-ce que c’est ?
– C’est « connaissance de soi et développement des plaisirs ». C’est obligatoire d’en suivre au moins trois modules, une fois vers les dix-sept ans, l’autres les douze-quatorze ans, et le troisième, vers les vingt-cinq ans. Mais il y en a qui sont accros et qui le suivent toute leur vie.
– Vous étudiez ce genre de trucs à l’école ?
– Ben oui, pas vous ?
– Évidemment, si ça peut permettre aux gens de rechercher ce qui leur plaît avant d’avoir atteint l’âge de la retraite, reconnais-je.
– Si ça vous dit, vous pourriez venir en suivre à mon école. On a quelques vieux dans tous les cours. D’ailleurs, pour les vieux de plus de quarante ans, c’est toujours bien de repasser un petit cours de cosdep.
– Je ne vais plus à l’école depuis longtemps, tu sais.
– Ha bon ?
– Je suis professeur, dis-je, j’ai fini mes études il y a longtemps.
– Complètement fini ?
– Oui, cela ne me sert plus à rien. J’ai déjà un doctorat ; c’est le niveau d’étude maximum chez nous.
– Chez nous aussi, il y a des vieux qui arrêtent. Mais c’est rare qu’ils arrêtent complètement. Ils gardent au moins deux-trois heures par semaine. Il paraît que, quand on arrête, le cerveau se rabougrit.
Voyage en Misarchie, Emmanuel Dockès
J’espère que vous avez savouré ce petit passage autant que moi.. Quand je l’ai lu, ça m’a fait « whaou, c’est bon d’imaginer ce que ça pourrait donner si toute l’organisation du système éducatif était basée sur les choix des apprenant·e·s! » Ça m’a reconnectée avec certains grands rêves qui sont derrière notre projet.. Je vous prépare un autre article sur le sujet… 🙂
Voilà, donc, vous l’avez compris, je vous recommande chaudement la lecture de ces deux livres et je vous souhaite d’en ressortir aussi inspiré·e que moi !